TURQUIE
Veysel Ok est un avocat spécialisé dans la liberté des médias et de la presse à Istanbul. Il a travaillé dans un premier temps comme conseiller juridique pour le quotidien Taraf, aujourd’hui dissous. Il a fondé l’organisation non gouvernementale Media and Law Studies Association (MLSA), qui apporte un soutien juridique pro bono aux écrivains et professionnels des médias victimes d’intimidations, de surveillance, de campagnes de diffamation et de harcèlement juridique. Il a aujourd’hui défendu plus de 100 journalistes, indépendamment de leurs orientations idéologiques et politiques, de leur appartenance ethnique ou de leur notoriété. Parmi eux, des écrivains et des journalistes persécutés par le gouvernement turc, comme l’écrivain Ahmet Altan et le journaliste Deniz Yücel. Même en dehors des salles d’audience, Veysel Ok défend les journalistes et les dissidents emprisonnés à tort pour avoir librement exprimé leur opinion. Les activités de Veysel Ok et son engagement particulier pour la liberté de la presse lui ont valu d’être lui-même surveillé et poursuivi en justice.
CURRICULUM
Veysel Ok est un avocat spécialisé dans la liberté des médias et de la presse à Istanbul. Il a travaillé dans un premier temps comme conseiller juridique pour le quotidien Taraf, aujourd’hui dissous. Il a fondé l’organisation non gouvernementale Media and Law Studies Association (MLSA), qui apporte un soutien juridique pro bono aux écrivains et professionnels des médias victimes d’intimidations, de surveillance, de campagnes de diffamation et de harcèlement juridique. Il a aujourd’hui défendu plus de 100 journalistes, indépendamment de leurs orientations idéologiques et politiques, de leur appartenance ethnique ou de leur notoriété. Parmi eux, des écrivains et des journalistes persécutés par le gouvernement turc, comme l’écrivain Ahmet Altan et le journaliste Deniz Yücel. Même en dehors des salles d’audience, Veysel Ok défend les journalistes et les dissidents emprisonnés à tort pour avoir librement exprimé leur opinion. Les activités de Veysel Ok et son engagement particulier pour la liberté de la presse lui ont valu d’être lui-même surveillé et poursuivi en justice.
Comment en êtes-vous venu à défendre les droits de l’homme dans l’exercice de votre métier d’avocat ?
J’exerce depuis une quinzaine d’années en tant qu’avocat et j’ai travaillé la majorité du temps dans le domaine des droits de l’homme. Je m’intéressais particulièrement à la liberté d’expression et à la répression des journalistes. J’ai rédigé de nombreux articles de presse sur des questions liées aux droits de l’homme alors que je venais tout juste d’être admis au barreau, notamment dans Taraf. À cette époque, Taraf était un journal qui traitait de questions politiques critiques dans le pays et qui était particulièrement connu pour ses publications contre la dénommée tutelle militaire, ce qui l’a exposé à de nombreuses procédures judiciaires. Un jour, Taraf m’a proposé de les représenter en tant qu’avocat. J’ai tenté pendant de nombreuses années de protéger le personnel du journal contre les persécutions. J’ai déposé des centaines de plaintes et défendu tout autant de journalistes. J’occupe désormais la fonction de co-directeur de la Media and Law Studies Association (MLSA), la plus importante et la plus grande organisation de défense de la liberté d’expression en Turquie
Que défend exactement la Media and Law Association ?
Nous avons pour mission principale de fournir une assistance juridique pro bono aux journalistes victimes d’attaques et de poursuites judiciaires. Nous les représentons à la fois en Turquie et devant les juridictions internationales. Nous avons actuellement plus de 160 clientes et clients, dont des journalistes, des artistes, des militantes et militants et des avocates et avocats. Nous sommes également la seule organisation en Turquie à assurer une observation systématique des procédures. Cela nous amène à contrôler presque toutes les affaires touchant à la liberté d’expression en Turquie et à réaliser régulièrement des rapports sur les violations du droit à un procès équitable. Nous transmettons ces rapports aux autorités locales et internationales et contribuons à ce que les problèmes soient abordés avec la volonté de trouver des solutions, au moyen de procédures équitables. Nous luttons contre la censure sur internet dans le pays et nous nous employons à sensibiliser le grand public grâce au projet FreeWebTurkey. Nous organisons également des formations ciblées destinées aux journalistes et aux avocats.
Pouvez-vous nous décrire un cas concret révélateur des dysfonctionnements du système judiciaire ?
Je vous raconterais une expérience tout à la fois drôle et tragique. Le journaliste Deniz Yücel, qui est également citoyen allemand, a été arrêté en 2017. Il a été incarcéré pendant des mois, sans aucun chef d’accusation. À l’époque, mes nombreuses objections et demandes de mise en liberté étaient toujours rejetées sur la base des mêmes arguments dénués de fondement légal. Des mois plus tard, avec la permission de mon client, j’ai déposé une requête qui ne parlait que de football. Mon but était de dévoiler les décisions en copier-coller qui étaient prises sans la moindre considération pour mes objections et demandes. C’était une entreprise risquée : si le tribunal s’était rendu compte que je me moquais d’eux, j’aurais pu être inculpé. Je me devais de prendre ce risque et de jouer à ce jeu pour révéler publiquement que le tribunal n’avait lu aucune de mes objections. Cela a donné une bonne idée de la manière dont fonctionne la justice turque. Je n’ai jamais lu un seul article sur le football de ma vie, donc j’ai cherché sur Google tous les articles que je pouvais trouver et les ai résumés. Finalement, le tribunal a rejeté la « requête de football » pour les mêmes motifs, sans même avoir lu l’objection, mais en imaginant qu’il s’agissait d’une demande de remise en liberté. C’est une anecdote à la fois drôle et tragique, mais qui illustre bien ce qu’est devenu le système judiciaire turc.
Est-ce que vous avez déjà personnellement fait l’objet de poursuites ?
Oui, après la tentative de coup d’État de 2016, j’ai assuré la défense de nombreux intellectuels célèbres en Turquie qui s’étaient retrouvés dans le collimateur du gouvernement. J’étais en même temps l’avocat des journalistes qui ont subi de plein fouet la colère du monde politique. À cette époque, de nombreux articles sont parus à mon sujet et sur mon activité d’avocat dans des publications pro-gouvernementales. J’ai été inculpé et fait l’objet d’un contrôle fiscal à la suite de ces publications. J’ai dû payer un certain nombre d’amendes. J’ai également été harcelé par la justice pour avoir déclaré dans une interview en 2017 que « la justice turque n’était pas indépendante ». À la suite d’une plainte déposée par le président Erdoğan, j’ai été poursuivi pour outrage à la justice turque et condamné à six mois de prison. Mon cas est actuellement examiné par la Cour constitutionnelle et nous attendons sa décision.
« Continuons sans relâche de soumettre nos objections et nos requêtes !
Quels sont les principaux défis qui se posent aux avocates et avocats ? Qu’est-ce qui pourrait améliorer leur situation ?
Les avocates et avocats réalisent un travail très important dans la détection et la dénonciation des violations des droits de l’homme, ce qui les expose à d’immenses pressions dans les régimes autoritaires. En Turquie, un grand nombre d’avocates et d’avocats se retrouvent derrière les barreaux en raison de leur activité professionnelle. Beaucoup font l’objet de poursuites et font face à des problèmes fiscaux motivés par des considérations politiques. Je pense que la solidarité des institutions juridiques internationales est particulièrement importante. Il est également essentiel de faire de l’indépendance de la justice une priorité en Turquie et de mettre en œuvre les réformes juridiques nécessaires pour que l’ombre du pouvoir politique cesse de planer sur le pouvoir judiciaire. Il est bien sûr tout aussi important que des juristes européens viennent en Turquie pour suivre les audiences de leurs confrères et consœurs et pour publier des rapports qui contribuent à faire respecter l’État de droit.
Quel message souhaitez-vous faire passer à vos confrères et consœurs ?
La justice ne meurt pas et ne disparaîtra jamais complètement. Parfois, elle se fige ou se flétrit pendant un certain temps, mais il est certain qu’un jour, elle reviendra. En ce sens, continuons sans relâche de soumettre nos objections et nos requêtes ! Un jour, quand la justice aura repris ses droits, affrontons celles et ceux qui ont bafoué les nôtres. Cela s’est toujours passé comme ça, il n’y a donc pas de raison de désespérer. Mes amitiés à toutes et tous.
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