BÉLARUS
Natalia Matskevitch exerçait comme avocate à Minsk depuis 1994, jusqu’à ce que le ministre biélorusse de la Justice demande sa radiation du barreau le 12 octobre 2021 à la suite d’une procédure disciplinaire. En tant qu’avocate en exercice, elle fournit une assistance juridique et représente des défenseures et défenseurs des droits de l’homme, des militantes et militants, des hommes et femmes politiques et d’autres personnes encore. Son domaine de spécialisation couvre le droit constitutionnel, le droit pénal et les droits humains internationaux. Natalia Matskevitch est titulaire d’un LL.M. et enseigne depuis 2009 à l’université européenne des humanités de Vilnius, en Lituanie. Elle se spécialise en particulier dans les normes internationales applicables aux juristes, les législations nationales et les procès équitables, le rôle des procureurs et des juges, ainsi que la lutte contre le terrorisme
CURRICULUM
Natalia Matskevitch exerçait comme avocate à Minsk depuis 1994, jusqu’à ce que le ministre biélorusse de la Justice demande sa radiation du barreau le 12 octobre 2021 à la suite d’une procédure disciplinaire. En tant qu’avocate en exercice, elle fournit une assistance juridique et représente des défenseures et défenseurs des droits de l’homme, des militantes et militants, des hommes et femmes politiques et d’autres personnes encore. Son domaine de spécialisation couvre le droit constitutionnel, le droit pénal et les droits humains internationaux. Natalia Matskevitch est titulaire d’un LL.M. et enseigne depuis 2009 à l’université européenne des humanités de Vilnius, en Lituanie. Elle se spécialise en particulier dans les normes internationales applicables aux juristes, les législations nationales et les procès équitables, le rôle des procureurs et des juges, ainsi que la lutte contre le terrorisme
Parlez-nous de votre parcours professionnel. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous concentrer sur les droits de l’homme ?
On pourrait dire que j’ai travaillé comme avocate presque toute ma vie. J’ai obtenu mon diplôme de l’université d’État du Bélarus en 1993 et j’ai commencé à exercer en tant qu’avocate un an plus tard, jusqu’au 12 octobre 2021, date à laquelle le ministre de la Justice a demandé ma radiation du barreau à la suite d’une procédure disciplinaire menée à mon encontre. Mon dossier a été examiné le 25 octobre et le 27 octobre 2021, j’ai été exclue du barreau de la ville de Minsk, ce qui m’a fait perdre mon agrément. J’étais spécialisée en droit pénal et me concentrais tout particulièrement sur les questions de procédure. Au cours de mes dix premières années d’exercice, je ne connaissais pas les normes et les mécanismes internationaux, qui ne sont pas du tout enseignés dans les universités biélorusses. Ce n’est que plus tard, entre 2005 et 2007, que j’ai commencé à me consacrer aux droits de l’homme. À l’époque, le simple fait pour une avocate ou un avocat de participer à des formations continues était très mal vu des instances dirigeantes du barreau. C’est finalement en 2009 que j’ai commencé à travailler concrètement sur les droits de l’homme en soumettant un cas de condamnation à mort au Comité des droits de l’homme des Nations Unies.
Quelles sont les principales activités que vous avez menées, en tant qu’avocate spécialisée dans la défense des droits de l’homme, pour protéger les victimes de violations des droits de l’homme ?
J’ai traité deux cas de condamnation à mort. J’ai représenté des défenseurs des droits de l’homme comme Ales Bialiatski, qui dirige le centre des droits de l’homme « Viasna », et Gennady Fedynich, président d’un syndicat. Dans les deux cas, l’enjeu était le droit à la liberté d’association. J’ai également traité des affaires à connotation politique et très médiatisées, en particulier entre 2020 et 2021. Mes clients étaient deux des principaux opposants politiques au gouvernement actuel, à savoir Sergueï Tikhanovski et Viktor Babariko. J’ai présenté plusieurs communications au Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Parmi celles-ci, cinq cas ont été considérés comme violant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et quatre sont en cours d’examen. Depuis 2010, j’enseigne également à l’université européenne des humanités et dans des programmes de formation continue pour les défenseurs des droits de l’homme et les avocats. Ma radiation du barreau n’a pas mis un terme à mon travail sur les droits de l’homme ; je me suis plutôt davantage concentrée sur le travail avec les organismes internationaux et sur l’éducation aux droits de l’homme.
Pourriez-vous nous décrire votre quotidien professionnel ? Comment se sont déroulées vos affaires les plus célèbres, celles de Sergueï Tikhanovski et Viktor Babariko ?
Tout à fait, parlons de ces célèbres prisonniers politiques que j’ai défendus devant les tribunaux nationaux. Sergueï Tikhanovski, blogueur, entrepreneur et chef de l’opposition, n’a pas été autorisé à se porter candidat à l’élection présidentielle de 2020 au Bélarus et a été arrêté. Son épouse, Svetlana Tikhanovskaïa, s’est en revanche inscrite comme candidate à la présidence et a participé aux élections. Comme vous le savez, elle a été contrainte de quitter le pays et est aujourd’hui considérée comme la meneuse du mouvement démocratique biélorusse. Sergueï Tikhanovski a été relaxé le 20 mai 2020, après l’inscription officielle de sa femme en tant que candidate à la présidentielle. Il a ensuite dirigé un groupe d’initiative pendant quelques jours, du 24 au 29 mai 2020, et a organisé plusieurs veillées pour recueillir des signatures pour Svetlana. Le 29 mai 2020, il a été arrêté une nouvelle fois lors d’une veillée à Hrodna. Après avoir examiné notre communication, le groupe de travail compétent du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a reconnu le caractère arbitraire de sa détention en septembre 2021. J’ai défendu Tikhanovski tout au long de l’enquête, qui a duré environ un an et quatre mois.
« Même sans victoire juridique, la société et les clients voient quand une avocate ou un avocat travaille avec honnêteté et courage. Leur travail et leur voix font croire en la possibilité de changements pour demain. »
Quels étaient les faits qui lui étaient reprochés ?
Il était accusé d’avoir organisé des émeutes, d’avoir gravement porté atteinte à l’ordre public, d’avoir incité à l’hostilité et d’avoir entravé le travail de la Commission électorale centrale. Il est resté en détention pendant tout ce temps. Juste avant son procès, un film de propagande contenant un enregistrement d’une conversation « confidentielle » que nous avions eue alors qu’il était en prison a été diffusé à la télévision publique. Le procès de Tikhanovski et de cinq autres personnes a débuté le 24 juin 2021 devant le tribunal de district de Gomel. Pendant ce temps, la télévision diffusait des reportages le présentant comme un criminel. Le pays a été très secoué. En tant qu’avocats, nous n’étions toutefois pas autorisés à parler de ce qui se passait dans la salle d’audience, puisque nous avions été contraints de signer un accord de confidentialité pour le procès à huis clos. Le 12 octobre 2021, en pleine procédure, on m’a signifié ma suspension avec effet dès le lendemain et l’interdiction de revenir au tribunal ; le procès s’est toutefois poursuivi. Tikhanovski a été condamné à 18 ans d’emprisonnement pour ses déclarations publiques et pour avoir participé à des réunions pacifiques. Le tribunal l’a condamné, lui et d’autres, à une amende d’un million de dollars pour les dépenses supplémentaires prétendument engagées par le ministère de l’Intérieur en raison de l’intervention des forces de police pendant les émeutes.
Et le procès de Viktor Babariko, comment s’est-il déroulé ?
Viktor Babariko était un autre solide candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2020. Avant d’annoncer sa candidature, il avait dirigé pendant 20 ans l’une des plus grandes banques du Bélarus (Belgazprombank). Sa campagne électorale se dirigeait vers une victoire éclatante, comme le suggéraient déjà la composition de son équipe et le nombre de signatures de soutien à sa candidature. Un mois après le début de la campagne, le 18 juin 2020, Babariko a été arrêté et mis en détention pour faits de corruption. On lui reprochait d’avoir prétendument empoché des pots-de-vin de clients au cours des 15 années précédentes dans son rôle de directeur de la banque. Son cas a été examiné par le Comité pour le contrôle de l’État. On a cherché à présenter toute l’affaire comme une banale histoire de corruption en prenant bien soin de la dissocier des événements politiques. Le fils de Viktor Babariko a été arrêté en même temps que lui et se trouve lui aussi toujours en détention. Certains de ses amis et anciens collègues ont également été condamnés. Les dirigeants d’entreprises – tous clients de la banque – ont été libérés de la prison du KGB au bout de 14 mois après avoir témoigné contre les employés de la banque devant le tribunal. J’ai défendu Viktor Babariko avec d’autres avocats. Nous avons réussi à montrer à la population biélorusse que les accusations étaient dénuées de fondement, que la véritable intention du parquet était de l’écarter de la campagne présidentielle et que ses droits à la défense et à la présomption d’innocence avaient été violés de manière flagrante. La Cour suprême s’est saisie de l’affaire et a condamné Babariko à une peine de 14 ans d’emprisonnement. Cet arrêt de la Cour suprême était insusceptible de recours. Nous avons déposé deux plaintes auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans cette affaire, l’une en 2020 pour détention arbitraire et l’autre à l’issue du procès pour violation du droit à un procès équitable, du droit à la liberté d’expression et du droit de participer aux affaires publiques. Les quatre avocats de Babariko ont été radiés du barreau. Moi aussi, pour avoir défendu Viktor Babariko et représenté en même temps Sergueï Tikhanovski.
Que pensez-vous de l’activisme en matière de droits de l’homme des avocates et avocats dans votre pays ?
C’est difficile de généraliser. En 2020, l’ensemble du pays a été confronté à des violations massives des droits de l’homme, notamment sous la forme d’actes de torture dans les prisons et les commissariats de police, impliquant des centaines d’avocats spécialistes des droits de l’homme. Ces avocats font souvent leur travail pour des honoraires dérisoires. Beaucoup ont également fait preuve de solidarité professionnelle et ont ouvertement pris la défense de leurs collègues victimes de répression, d’arrestations et de radiations du barreau. Face à l’engagement civique de la profession en 2020, l’État a apporté des modifications à la loi sur les avocats en 2021, qui ont réduit leur indépendance à néant. La politique répressive d’exclusion du barreau se poursuit. C’est ce qui explique que les avocats, par crainte de perdre leur emploi, gardent le silence. Dans un pays où les lois sont foulées au pied et où les règles de procédure ne s’appliquent pas, aucune relation de confiance ne peut s’établir et les avocats n’ont pas accès à leurs clients en prison. À la prison du KGB, par exemple, il faut s’inscrire plusieurs semaines à l’avance pour rendre visite à ses clients. Toutes les actions de défense telles que les recours, les pétitions et les déclarations soumises à l’avance sont vouées à l’échec. On a, en gros, muselé les avocates et les avocats en leur interdisant de facto de s’exprimer publiquement en dehors de la salle d’audience.
Est-ce que vous êtes inquiète pour votre propre sécurité ?
Dans une situation comme la mienne, la sécurité personnelle n’existe pas. Je continue de défendre le droit dans l’espace public, que ce soit par des commentaires, des articles ou des activités de formation, mais il y a toujours un risque que ces actions soient qualifiées « d’activités hostiles à l’État ». Je ne souhaite pas pour autant quitter le Bélarus et renier mes convictions.
Quels sont les principaux défis qui se posent aux avocates et aux avocats ? Croyez-vous que la coopération internationale peut améliorer la situation ?
Comme je l’ai déjà dit, il n’existe au Bélarus aucune base juridique pour défendre les droits de l’homme. La loi biélorusse sur la profession d’avocat exclut cette possibilité et les avocats actifs continuent d’être radiés. Je ne pense pas qu’une quelconque coopération puisse améliorer la situation dans ces conditions. Il est plus utile de continuer d’aider les organisations internationales de défense des droits de l’homme et les barreaux à diffuser des informations sur le démantèlement progressif des droits de la défense. Je suis convaincue de la nécessité d’une réforme radicale de la profession d’avocat, mais pour qu’elle puisse avoir lieu, il faut une séparation des pouvoirs et un État de droit.
En deux mots, quelle expérience pouvez-vous partager avec d’autres avocates et avocats spécialistes des droits de l’homme ?
Il y a des moments auxquels un avocat doit décider s’il souhaite continuer de défendre les droits de l’homme ou assurer son propre bien-être, en particulier dans un État non démocratique. S’il choisit son propre bien-être, mieux vaut qu’il abandonne immédiatement le métier. Il faut simplement faire son travail, calmement. Même sans victoire juridique, la société et les clients voient quand une avocate ou un avocat travaille avec honnêteté et courage. Leur travail et leur voix font croire en la possibilité de changements pour demain. Cela peut sembler vain, mais même dans de telles circonstances, il y a une autre « récompense » : celle de voir la gratitude des personnes que vous défendez.
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